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lundi 19 février 2018

Le roman sans doute le plus belge de Patrick Roegiers, naturalisé Français

Patrick Roegiers, naturalisé Français depuis peu. (c) JF Paga/Grasset.

La Belgique est historiquement connue pour son "surréalisme", expression confortable servant en général à qualifier ce qui ne ressort pas de la "logique" pure, de la "normalité"absolue. On peut l'appliquer sans hésiter au nouveau roman de Patrick Roegiers, le très surprenant mais très amusant "Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur" (Grasset, 293 pages). Un livre qui raconte le tournage d'un film tiré du livre. Fantaisiste évidemment, virtuose à coup sûr.

A première vue, l'auteur consigne les rencontres entre le roi Léopold de Belgique et le dessinateur Hergé en Suisse durant l'été 1948. Le premier est en exil, le second en dépression. A seconde vue, Patrick Roegiers se paie une pinte de bon temps scénaristique avec ce roman audacieux et hors norme. Sans doute surréaliste, révélant ses racines belges. Il faut le voir faire dialoguer ses deux personnages principaux, les surprendre par différentes apparitions de Donald Duck, digresser à l'infini sur la Suisse, les poissons du lac ou les anecdotes de tout le beau monde hollywoodien qu'il convoque au tournage. Il faut découvrir Léopold et Hergé durant leurs séances de pêche, durant leurs promenades, dans ces décors de cinéma. Ce qu'ils disent et ce qu'ils ne disent pas. Parlent-ils d'eux, personnes ayant un rôle dans l'Histoire, ou interprètent-ils leur rôle pour le film en train d'être tourné? A chacun de décider. Amateurs de logique pure, vous voilà prévenus. Vous ne serez pas seuls. Grande fut la surprise de Jean-Paul Enthoven, éditeur de l'auteur chez Grasset, quand il reçut la dernière version du roman. Mais il a dit oui et nous disons oui aussi. Surtout que l'humour, autre vertu belge, est omniprésent.

Patrick Roegiers était à Bruxelles il y a peu, je l'ai rencontré.

Quelques questions à Patrick Roegiers

Etre devenu Français a-t-il changé quelque chose pour vous?
Etre Français est pour moi une émotion, une fierté et un grand bonheur. Je vis en France depuis trente-cinq ans. Mes enfants vivent en France. La France m'a accueilli, la France m'a recueilli. Je ne suis plus en exil. Je me suis réapproprié un pays qui est désormais le mien. Ce changement de nationalité est très signifiant dans ma vie. Il a coïncidé avec l’écriture de ce livre. Pouvoir écrire "Français" en quatrième de couverture est une  réponse parfaite.
 Prendre Léopold III et Hergé comme personnages, après votre livre sur l'autre Simenon (lire ici), vous cherchez les ennuis?
Je n'ai pas écrit ce livre en pensant à des provocations mais parce que j'avais ce sujet à traiter. En cours d'écriture, j'ai été dépassé par le livre, au moment où le cinéma débarque. J'ai tout repris. J'ai osé inventer un livre qui est un film et un film qui est un livre. C'est l'histoire d'un type en dépression et d'un roi en exil dans un décor de carton-pâte. J'ai travaillé avec le trompe-l'œil et avec la fantaisie.
 Peut-on qualifier votre livre de "surréaliste"?
J'ai choisi l'esthétique du livre. Il est comme une partition musicale, avec les blancs et les notes sur la portée. C'est un livre faussement lisse, récréatif devant son décor, mais les parts d'ombre sont au fond du lac. Grâce à cette apparence de nature, avec les promenades, les parties de pêche, etc., le fond remonte à la surface. Tout est dit en ombres portées. C'est mon livre le plus sarcastique, le plus mordant. Je n'ignore rien des à-côtés mais je les ai enlevés à la relecture.
Jean-Paul Enthoven, mon éditeur chez Grasset, m'a demandé si ce type d'approche était une composition belge. Le Français préfère qu'on soit dans le rang. J'ai écrit ce livre dans ma tête d'abord. Pendant trois ans, j'ai vécu dans un monde que j'inventais, mon but étant de faire tenir l'ensemble.
 D'où a surgi l'idée du film?
Le livre est maître du livre. Le cinéma est venu à la moitié de la rédaction et il a donné le livre. Je pense que l'auteur est présent mais sans se montrer. Si on veut analyser le texte, il y a des aveux. Il y a toujours une part d'inconscient dans un livre. Sinon, ça fait des corps secs.
 Vous semblez apprécier les dialogues.
Oui, mais je l'ai fait dès "Le bonheur des Belges". Je l'ai fait aussi dans "L'autre Simenon". J'aime ce  dispositif et je l'utilise depuis quatre ou cinq livres. Les mots deviennent des petites parties de ping-pong. J'ai voulu faire parler les non-dits de Léopold et Hergé, deux personnages peu loquaces. Cela fonctionne bien dans la rythmique du livre. Le Roi ne parle pas, on ne peut pas savoir ce qui se dit. Lui et Hergé sont complices mais pas amis.
 Vous donnez l'impression de bien connaître la Suisse.
J’ai trouvé plein de documentation sur la Suisse sur Internet. On y apprend tout sur l'humour suisse, les proverbes suisses, la fabrication du canif suisse, celle du chocolat, du fromage. Sans savoir que j'allais écrire ce roman, j'avais acheté il y a quelques années un livre sur le Lac Léman et ses poissons, "Comment pêcher au lac Léman". D'où les perches à tous les menus de l'hôtel.


Pour lire le début de "Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur", c'est ici.


Patrick Roegiers sera à la Foire du livre de Bruxelles les samedi 24 et dimanche 25 février.

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