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mardi 11 juillet 2017

DTPE 1: l'Europe, ses frontières et les réfugiés

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.

A feuilleter "La fissure" de loin, on pourrait croire à une bande dessinée faite avec les vieilles photos colorisées, ces images d'hier qui égaient les marchés aux puces. Mais l'illusion ne dure pas longtemps. On repère immédiatement les éléments modernes, contemporains même, des clichés. Et pour cause. Ce sont des images de migrants qu'on voit régulièrement, mais de moins en moins, dans les actualités. Comme cette jeune fille dont le sauvetage en mer fait la couverture. Quel regard que le sien!

"La fissure" est une extraordinaire bande dessinée sur les réfugiés par deux journalistes espagnols, Guillermo Abril aux textes et Carlos Spottorno aux photos ("La Grieta", traduit de l'espagnol par Faustina Fiore, Gallimard, bande dessinée, 172 pages). Sortie en avril 2016 en langue originale, elle nous parvient en français un an plus tard.  Les dates ont leur importance car l'album se base sur des reportages sur les réfugiés et sur les frontières de l'Europe effectués à partir de 2013, quand les murs commençaient à se dresser, l'Europe à se barricader. Carlos Spottorno et Guillermo Abril y ont travaillé jusqu'en janvier 2016, rapportant 25.000 photos et 15 carnets de notes. Une matière considérable dans laquelle ils ont remarquablement puisé pour réaliser "La fissure".

Voilà un travail considérable et précieux, à haute valeur artistique malgré son thème dramatique. Comment rester indifférent aux photos qui immortalisent l'histoire d'aujourd'hui, éléments factuels ou suggestions comme la vue de la mer au large de Lampedusa? Cet album dit une réalité terrible et la transcende par sa qualité graphique.

1946 à Zurich. (c) Gallimard.
La BD a la forme d'un récit journalistique, découpé en chapitres selon les lieux visités lors des voyages. Le texte est simple, les photos superbes. Des faits, une succession de faits qui font comprendre la réalité des réfugiés d'aujourd'hui, qui les replacent aussi dans leur contexte historique. C'est glaçant souvent. Comme l'est la réalité. L'Europe d'aujourd'hui, telle qu'elle se cogne aux rêves d'hier dont les grandes lignes sont rappelées ainsi que quelques faits marquants, la crise économique de 2008, "Indignez-vous!" de Stéphane Hessel et les "printemps arabes" en 2011.


Première vague de réfugiés en 2011. (c) Gallimard.

Les reportages commencent véritablement en décembre 2013, deux mois après l'énorme naufrage d'une embarcation tout près de Lampedusa (366 morts). La rédactrice en chef de "El Pais Semanal" (le supplément hebdomadaire du quotidien espagnol) appelle Guillermo Abril: "Je veux que tu voyages aux frontières de l'Europe. Un reportage ambitieux. Pour la une. Parles-en à Spottorno, ce sera le photographe. Choisissez trois ou quatre destinations. Les endroits les plus chauds. Allez là où il y a des barrières et des policiers. Sur la ligne de démarcation."


Melilla, ville fortifiée. (c) Gallimard.

Les deux journalistes se rendront successivement à Melilla, petit morceau d'Espagne en Afrique (janvier 2014), en Thrace en Grèce, entre la Bulgarie et la Turquie (février 2014), à Lampedusa et à bord du Gracale, où sera prise la photo de couverture (mars 2014), à la frontière de la Serbie et de la Hongrie (septembre 2015), en Lituanie, en Pologne, en Lettonie, en Ukraine (hiver 2015), en Estonie, en Finlande et en Suède (janvier 2016).


Avis d'embarquement. (c) Gallimard.

"Nous avons entrepris ce voyage sans savoir au juste ce que nous trouverions en chemin"
, écrivent les auteurs à la fin de l'album. "Nous rentrons à la maison avec la conviction que nous devons le raconter."
Les rencontres qu'ils ramènent, les témoignages, les photographies de lieux et de personnes, les cartes, leurs analyses montrent magnifiquement les crises que traverse l'Europe et les conséquences qu'elles ont sur ceux qui fuient d'autres parties de monde. Au sud, à l'est, au nord, Carlos Spottorno et Guillermo Abril sont allés partout, dans des régions difficiles, dans des conditions parfois dangereuses. Leurs reportages sont époustouflants par la force des faits qu'ils rapportent et les réflexions qu'ils suscitent. A travers ces histoires d'hommes, de femmes, d'enfants, de ceux qui les soutiennent et de ceux qui les pourchassent, puisse "La fissure" mieux faire connaître les migrants d'aujourd'hui. Album indispensable sur le fond, cette BD journalistique est aussi impeccable sur la forme, avec ses photos non retouchées dont la colorisation donne une unité à ces vies d'errants, croisés aux quatre coins des frontières de l'Europe.


Pour lire en ligne le début de "La fissure", c'est ici ou ici.





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