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mardi 1 novembre 2016

La mémé exorciste de Cécile Gambini

Depuis une vingtaine d'années, Cécile Gambini se partage entre les albums pour enfants qu'elle publie sans compter chez de nombreux éditeurs jeunesse, grands et petits, et la conception de livres-objets "vieillesse" en exemplaire unique où elle raconte à sa façon les déboires de son quotidien, ses Pavupapri (250 actuellement).

Pour notre plus grande chance d'adultes - mais les grands ados apprécieront aussi, un de ces recueils est aujourd'hui édité à destination du grand public. Il s'agit de "Au secours Mémé" (Le Tripode, 32 pages), un petit format exquis où Cécile Gambini nous conte quatre catastrophes qui lui sont arrivées à l'été 2015 par le texte et par le dessin. Par le dessin pour des adultes? Oui, parce qu'il serait dommage de se priver de ces récits illustrés qui dégénèrent en beauté.

Elle les résume de cette façon: "Quand ta mère vole des poires à la buanderie tu crois aux miracles, t'offres tes os contre un chaton, t'apprivoises les cafards et t'invoques mémé-vaudou pour exorciser le tout. Voilà le programme court, en quatre actes chirurgicaux, pour votre plaisir."

Le programme long, qui se compose de "La poire", "L'anniversaire", "Mémé-Vaudou" et "La pasteurellose d'été", témoigne de la même vivacité de plume pour raconter des catastrophes qui s'enchaînent, tempérées par une très grande douceur des illustrations et un humour salvateur. Ce n'est pas l'auteure qui va s'appesantir sur son sort. Non, elle en fait des livres. Et quels livres! Des petits bijoux qui disent à leur manière la société d'aujourd'hui.

Cécile Gambini a l'art de raconter, de détailler la descente aux enfers ou pas loin, puis d'énoncer la remontée en une ou plusieurs étapes. Sa sobriété intensifie les drames et leur résolution. Que ce soit la mère qui sort par la grande porte d'une hospitalisation d'un an après avoir terrorisé famille et infirmières. Ou la soirée d'anniversaire pourrie par l'accident d'un petit ami en passe d'aller voir ailleurs. Ou la recette des poivrons grillés qui semble avoir des effets répulsifs. Ou la morsure d'un chat qui tourne en avant-goût de l'enfer... Les drames de l'auteure-illustratrice deviennent très vite les nôtres. "Au secours Mémé" est en plus très bien présenté graphiquement, ce qui renforce encore le plaisir de le découvrir.


In "La poire". (c) Cécile Gambini/Le Tripode.

In "Mémé Vaudou". (c) Cécile Gambini/Le Tripode.

In "La pasteurellose d'été". (c) Cécile Gambini/Le Tripode.

13 questions à Cécile Gambini

Comment fait-on la balance entre livres d'artistes, albums pour enfants et maintenant album pour adultes?
Je me promène dans les différentes parties d'un même jardin, mais jusque-là je n'osais pas parler de la dernière partie. Je deviens moins timide.
250 Pavupapri en moins de 30 ans, c'est pharaonique, non?
Je me drogue aux Pavupapri et je ne pourrais pas m'en passer, c'est si joyeux.
"Au secours Mémé"a-t-il un lien avec le précédent "Chez Mémé" (La maison en carton)?
Oui! C'est bien de "Chez Mémé" que tout vient, l'humour, l'esthétique, l'insolence. C'est génétique en fait. Il fallait bien que je montre en images d'où venait ce foisonnement par un dessin de la maison "Gambini" Et le "Au secours Mémé" est aussi écrit avec la rage d'une petite fille qui ne veut pas décevoir sa grand-mère défunte.
Donc, si j'ai bien compris, "Au secours Mémé" est la diffusion à grande échelle d'un de vos livres faits à la main?
Oui, et j'avoue ne pas avoir maîtrisé que je quittais un peu les spectateurs intimes pour des lecteurs qui, cette fois, ne me connaissent pas ... C'est effrayant. D'une certaine manière, je vais peut-être arrêter d'écrire en cachette ou de faire semblant d'écrire des livres pour enfants. A ce propos, ma "Famille Adams" a été assez choquée par ce livre. C'est la première fois qu'ils me découvrent.
Comment le choix, le vôtre, celui de votre éditeur, s'est-il porté sur ce titre-là?
Devant un plat de "linguine aux câpres", sans hésitation. Je crois que Frédéric Martin a compris que cette fois j'avais totalement osé.
Vous racontez votre été 2015 mais tout le monde s'y retrouve assez facilement.
Chouette.
D'où vient votre inspiration? De la vie? De votre imagination?
La vie propose tellement de scénarios surréalistes que je m'autorise à devenir journaliste. Frédéric Martin, mon éditeur, en vient à se demander si je ne provoque pas exprès d'inextricables situations pour avoir matière à écrire... Si j'étais à la radio, je dirais poliment que c'est de la fiction très bien documentée.
Comment une histoire illustrée se crée-t-elle, par le texte, l'image, les deux en même temps?
L'histoire! Mais une bonne histoire contient déjà toutes ses images. Je vous l'ai dit, je prends beaucoup de drogue Pavupapri. Quand j'écris, j'ai déjà en tête une sorte de "tout" terminé, une idée de livre, une envie de type d'images.
Enfin, un livre illustré pour adultes. Que pensez-vous de la réticence des adultes à regarder des albums autre que des BD? Qu'y gagnent-ils? Est-il différent pour vous de créer un album pour adultes ou un album pour enfants?
Je crée mes albums pour enfants dans les mêmes conditions de transe joyeuse que ceux pour adultes, même si j'utilise un langage plus feutré. J'avoue que je ne comprends pas la réticence des adultes devant un livre illustré qui ne soit pas BD. En quoi la case apporte-t-elle une caution de quoi que ce soit? On peut bien mettre côte à côte un tableau et un texte, que diable! Je pense que c'est un problème oculaire, rien de bien méchant.
"Au secours Mémé" est terriblement humain au-delà de sa drôlerie apparente. C'était votre intention?
Je l'ai écrit dans un état second d'humaine au bout du rouleau qui ne se laissera jamais abattre et combattra par la poésie. Un travail d'exorciste.
Il est curieux de voir le contraste entre votre écriture, vive, incisive même, et vos dessins, empreints de douceur.
Ah, toute une éducation, beaucoup d'amour et tellement de violence, ça donne ça. Adolescente, j'étais une grande révoltée que le dessin a vraiment réussi à adoucir. Dessiner est une activité non violente et silencieuse qui permet de se recueillir, de réfléchir, de se faire aimer. Ecrire est un jeu joyeux, plus frontal. Je ne me cache plus du tout dans l'écriture. Je prends le recul d'un spectateur extérieur et je fais état. C'est comme si, pour cette partie, je devenais comédienne.
Mère, amour, rivale, chat, autant d'accidents qui commencent mal et finissent mieux, résumés dans l'excellent programme imprimé en dernière page. L'humour est-il votre valeur refuge face à cette suite de catastrophes?
Ma grand-mère m'a appris à accueillir les sinistres avec un indéfectible sourire. Et, sincèrement, notre vie est si surréaliste qu'il faut la vivre avec le même détachement qu'elle se le permet avec nous. Le matin, vous vous plaignez de ne plus avoir de dentifrice, et l’après-midi, votre mère décède pour la douzième fois de l'année. Faut avoir de l'humour, non?
Quelle est la technique que vous avez utilisée dans ce livre?
J'ai travaillé à l’acrylique. Je me fabrique des caches en papier qui me servent de pochoirs. J'avais à côté de ma table un très beau livre sur les affiches anciennes de spectacles de magie qui m'a aussi beaucoup inspirée.

"Au secours Mémé" est un livre qui pourrait devenir le premier d'une série... Je l'espère en tout cas.

Petite info pour ceux du coin: exposition, vernissage et dédicace de Cécile Gambini dans l'ancienne Lingerie de l'hôpital St Vincent de Paul transformée en café-bar par Les Grands Voisins, le jeudi 3 novembre à partir de 18h30.



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