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vendredi 15 mai 2015

La fugue new-yorkaise de Pierre Ducrozet

La couverture est un peu moins rouge que les "Cahiers" (Grasset) du même nom à la destinée desquels préside l'écrivain Charles Dantzig. Le formidable roman "Eroica" de Pierre Ducrozet (Grasset, 264 pages) a une couverture coquelicot. Normal, il est publié dans la collection "Le courage", créée en avril par... Charles Dantzig. Une collection qui se partage entre une revue thématique annuelle et polyglotte - le numéro de 2015 est consacré à la création littéraire - et des livres, deux à ce jour.

Pierre Ducrozet.
Qu'est-ce qui peut pousser un jeune auteur français, Pierre Ducrozet est né en 1982, à s'intéresser au peintre américain Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et à lui consacrer son troisième roman?
"J'ai une passion pour la peinture en général", me répond l'écrivain, de passage à Bruxelles. "Et j'admire énormément Jean-Michel Basquiat. Petit, j'avais vu ses toiles dans des livres d'art. Il y a un côté enfantin mais puissant dans son art. Son parcours m'intéressait. L'homme est complexe, contradictoire, agaçant, c'est donc un personnage de roman."

On parle bien de roman à propos d'"Eroica", même si on y lit la vie mouvementée du peintre parfois maudit, un des plus grands du XXe siècle. Voilà un livre qui, par sa conception et surtout par sa superbe écriture calquée sur la peinture de son sujet, saccades, accumulations, absence de respiration, secoue solidement le genre littéraire de la biographie. Pierre Ducrozet lui préfère le terme de "fiction biographique". Il a raison. S'il s'est solidement documenté, il a préféré tout oublier lors de l'écriture du livre. Tout est donc vrai dans ce roman mais du point de vue de l'écrivain. Les épisodes de la vie de Basquiat, les hommes et les femmes qu'il a côtoyés, les expositions, la musique, les drogues... Et les écrits du peintre sont plus que vraisemblables.

On se retrouve happé par la passion de ces pages documentées mais romanesques, écho en mots d'une vie dédiée à la peinture, à la musique et à la poésie. "J'ai voulu prendre de son énergie, de sa folie", ajoute l'auteur. "J'ai tenté que mon écriture soit un parallèle à sa peinture. Ses toiles sont très éclatées, très composées mais l'équilibre est là."

"Eroica" est un livre formidable par son style, on l'a dit, et aussi parce qu'il part d'un matériel réel, d'une vie, principe de la collection "Le courage". On y lit le parcours d'un héros, d'où le titre emprunté à Beethoven. "Basquiat a eu un courage infini pour s'attaquer au milieu artistique new-yorkais", estime Pierre Ducrozet. "Il a dû aborder des ennemis, des épreuves, pour conquérir le château. J'aime ce petit garçon, puis cet ado dont la fraîcheur se heurte au mur du monde."

Le Jay qu'il nous raconte est un génie, torturé et exigeant à la Rimbaud, ange et démon à une époque de New York qu'on a sans doute un peu oubliée - trente ans passent si vite. Si Pierre Ducrozet nous fait vivre Basquiat sous nos yeux, avec ses rêves, ses espoirs et ses frasques, il nous rapelle aussi que Jay a côtoyé des grands noms avec lesquels on ne le lie pas nécessairement aujourd'hui, Klaus Nomi, Keith Haring, Andy Warhol et même Madonna. Autant de pièces qui composent un puzzle new-yorkais original. Et c'est absolument passionnant de suivre ce garçon qui peignait pour trouver la liberté, mais faisait tout en quantité. "C'est un extrasensoriel", précise le romancier. "Il entend tout. Il a plein de mots dans sa tête et tout doit rentrer dans la toile.  Il est aussi poète, il est proche des livres même s'il est peintre. Et musicien, jazz, hip hop, il scratche aussi. Ce sont alors les débuts de l'électro."

Et si Pierre Ducrozet rencontrait aujourd'hui Jean-Michel Basquiat, que lui dirait-il?
"Si je le rencontrais aujourd'hui, je lui dirais que j'ai fait un livre sur lui. Qu'il m'a donné de la force, du courage. Je lui dirais merci. Ou bien j'irais boire une bière avec lui, juste pour passer ensemble l'instant."

Pour prolonger la lecture de ce formidable roman, on peut se promener sur le site "Eroica".







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