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jeudi 16 avril 2015

Mon amour, ma fée, Tess et les autres

Julie Bonnie s'est tout de suite fait remarquer avec son premier roman, "Chambre 2" (Belfond, 2013, Pocket, 2014), prix du roman Fnac 2013, qui traitait déjà de maternité, mais de l'extérieur.

Julie Bonnie se fait tout autant remarquer avec son deuxième roman, l'original et touchant "Mon amour," (Grasset, 220 pages), qui parle aussi de maternité, mais de l'intérieur cette fois. Un titre avec une virgule finale? Oui. Pour signaler une correspondance sans doute, pour figurer le bébé peut-être. Dans le livre de celle qui fut chanteuse et travailla en maternité,
1 + 1 n' = pas 3. Certes, on a la mère, on a le père, on a le bébé, mais on n'a pas la famille. Ou alors pas la famille telle qu'on l'imagine.

Dans ce superbe livre d'amour et de désir, d'écoute de soi aussi, divers personnages évoluent autour de Tess, bébé de quatre jours qui veut manger, boire, dormir. Ils s'écrivent des lettres. On les lit en pensant qu'ils se les expédient. Et puis, on doute. Cette correspondance est-elle destinée à être envoyée? Julie Bonnie a une manière fine de nous faire entrer dans ce très beau récit de vie et de mort. La maternité bouleverse les couples, on le sait. Mais on a parfois oublié la violence qu'elle peut engendrer.

Julie Bonnie. (c) JF Paga/Grasset.
La première lettre est celle de la mère, adressée à "Mon amour,". Elle est seule avec son petit bout, son premier bébé, leur premier bébé, dans l'appartement parisien. Va-t-elle s'en sortir? "Mon amour," est pianiste de jazz. Il est même "la nouvelle génération du jazz". Il vient de partir en tournée pour un mois, fait inespéré, en Europe d'abord, aux Etats-Unis ensuite. Juillet devrait vite passer, pense-t-il. Il adresse ses lettres à "Ma fée," raconte ce début de tournée qu'embrument les souvenirs de l'accouchement. Entre eux, Tess, qu'il a trop vite laissée à Paris pour réaliser sa naissance. Les photos ne suffisent pas.

L'homme et la femme se racontent leur quotidien, teinté de leurs angoisses. L'écriture fait qu'on les voit. Elle qui devient mère pour la première fois et est peu entourée, regarde son corps et apprend à le réapprivoiser. Qui est la prisonnière volontaire de son bébé à nourrir jour et nuit. Qui se traîne de fatigue et explose d'hormones. Lui qui part en tournée, hanté par ses démons de musicien en recherche, de fils abandonné qui s'inquiète de sa capacité à être un bon père, qui craint aussi pour sa liberté d'artiste, qui vit pour lui, reproduisant un comportement détesté. On suit tout ça de près car le ton de la romancière est toujours juste. Et l'on craint le pire pour ce couple fragile quand surgissent Suzanne d'un côté, Georges de l'autre - un autre tourmenté de belle espèce, peintre de son état. Pas par souci de la morale, mais parce qu'on voit bien combien les vérités endormies paraissent en même temps que l'enfant.

Julie Bonnie poursuit son beau récit par le biais des lettres de différents signataires, dont certaines adressées à Tess vingt ans après sa naissance. On assiste à beaucoup de souffrances, à des renaissances. On recompose le passé, on construit le présent, jusqu'à la belle surprise finale. On voit la mort, on voit la vie, la force de l'amour. Les rencontres se passent aussi dans les marges, où pèsent les silences et les incompréhensions, où se dessinent de nouveaux départs. Avec ses doutes, ses coups de blues, ses accès de violence, son irrésistible attrait pour une vie plus forte que la mort,  "Mon amour," est un roman dont la sensibilité extrême bouleverse son lecteur tout en lui tendant un miroir du monde contemporain.







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