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vendredi 13 février 2015

Les filles et les garçons de Nikolaus Heidelbach

Comme c'est amusant! Les deux nouveaux albums de Nikolaus Heidelbach, les merveilleux "Que font les petites filles aujourd'hui?" et "Que font les petits garçons aujourd'hui?" (traduits de l'allemand par Marc Porée, Les Grandes Personnes, 64 pages chacun), ont pile le même format que les deux titres anciens dont ils sont à la fois la reprise et le prolongement. Mais ce qui distingue les nouveaux des précédents du point de vue forme, c'est le sens de lecture. "Au théâtre des filles" (traduit de l'allemand par Joseph Jacquet, Le sourire qui mord/Gallimard, 1993) et "Que font les petits garçons?" (pas de nom de traducteur, Seuil Jeunesse, 2000) sont (étaient? car ils ne sont plus disponibles) en format à l'italienne. Evidemment, il faut avoir quelques années aux côtés de la littérature de jeunesse, ou accès à une excellente bibliothèque pour s'en rendre compte...










Nikolaus Heidelbach est incontestablement un des auteurs-illustrateurs allemands pour la jeunesse les plus doués de sa génération. Son travail exigeant est tout à fait accessible à l’ensemble des enfants en âge d'albums. Son graphisme aisément reconnaissable est non seulement magnifique sur le plan esthétique mais réjouissant sur le plan mental tant il regorge d'impeccables trouvailles. Son rapport texte-images est des plus intéressants. Pas de sentiment d’enfance édulcoré chez lui. Au contraire! Ses images au calme apparent abritent des tempêtes de sens.

En réalité, il fut remarqué dès ses débuts à la Foire du livre pour enfants de Bologne. En 1995, il obtient le Bolognaragazzi de fiction en section enfance pour l'album "Was machen die Mädchen?" (Beltz & Gelberg, 1992), que j'avais repéré en version originale dès sa parution et qui est devenu en 1993 en français "Au théâtre des filles" (Sourire qui mord/Gallimard), publié par Christian Bruel avec une couverture différente de l'album original.

Ensuite, les titres, toujours d'une extrême qualité, souvent initiatiques, en lien avec l'enfance à la manière Nikolaus Heidelbach, se sont succédés.
Des albums:
  • "La chambre du poisson" (Gallimard/Le sourire qui mord, 1993)
  • "Tout-petits déjà" (Gallimard/Le sourire qui mord, 1994)
  • "Papa/Maman" (album tête-bêche à entrées séparées, Gallimard/Le sourire qui mord, 1994)
  • "Un livre pour Elie" (Seuil Jeunesse, 40 pages, 1996)
  • "Que font les petits garçons?" (Seuil Jeunesse, 2000)
  • "La treizième fée" (Seuil Jeunesse, 2004)
  • "La reine Gisèle" (Panama, 2006)
  • "L'avenir de la famille" (Il était deux fois, 2010)
  • "L'enfant-phoque" (Les grandes personnes, 2011)

Des recueils de contes:
  • "Contes de Grimm, volume 1" (Seuil Jeunesse, 2003)
  • "Contes de Grimm, volume 2" (Seuil Jeunesse, 2004)
  • "Grand Nain et autres histoires" (Franz Hohler, La joie de lire, 2004)
  • "Contes d'Andersen" (Seuil Jeunesse, 2005)
  • "Contes abracadabrants" (Franz Hohler, La joie de lire, 2011)

Pourquoi ne sont-ils pas réédités? C'est une excellente question.


Amandine deviendra Anne-Lise dans l'album. (c) Les grandes personnes.

Aujourd'hui, Nikolaus Heidelbach nous revient donc avec deux albums qui redéclinent deux livres parus en français en 1993 et 2000. Des abécédaires relatant les histoires de vingt-six filles et de vingt-six garçons. Qu'est-ce qui peut donner envie à un auteur-illustrateur de reprendre un travail? En tout cas, avec "Que font les petites filles aujourd'hui?" comme avec "Que font les petits garçons aujourd'hui?", il nous étonne une nouvelle fois.

Les prénoms ont changé. On a maintenant Anne-Lise, Bettina, Cléo, Doris, Evelyne... (au lieu d'Adélaïde, Barbara, Cornélia, Daphnée, Ernestine... ) ou Arnaud, Benjamin, Christian, Damien, Edouard... (au lieu d'Anatole, Balthazar, Charles, David, Eloi...). Mais leurs rêves sont toujours ceux d'enfants pleins d'imagination, et parfois de contradictions, interpellant ceux qui les lisent, les rencontrant dans leur propre enfance. Leur fantaisie se décline en scènes particulièrement agréables à découvrir. Surtout que les images sont comme toujours superbes, pleines de rires et de mystères.

Voilà Benjamin qui joue tout seul. (c) Les grandes personnes.

Ce qui a surtout changé, outre les énigmatiques pages de garde, c'est le personnage qui présente la lettre de l'alphabet. Dans les livres anciens, c'était presque toujours des filles pour le livre des garçons, et, inversement, des garçons pour le livre des filles. Ici, Nikolaus Heidelbach pousse plus loin en faisant porter les différentes lettrines par des angelots dodus chez les petites filles et par des faunes assez féminins chez les petits garçons

Pas question toutefois de trop questionner. Plongeons plutôt dans ces albums exceptionnels, laissons-nous porter par les images et les interrogations. Quand le texte dit en page de gauche  "Anne-Lise espère bientôt être repérée", on voit en page droite une brunette arpentant le trottoir avec tout son équipement musical, grosse caisse, triangle, clochettes, mini-trompette, auxquels sont attachées de vielles boîtes de conserve et des os de poulet.

De double page en double page, on croise les aspirations de ces demoiselles d'aujourd'hui: le théâtre pour Bettina, une Maman pour les trois sœurs en G, une présence pour Hedwige... et bien sûr les garçons et l'amour. On rit et on tremble. On rêve et on vit. Nikolaus Heidelbach a tout compris des petites filles d'aujourd'hui.

Ici aussi les prénoms ont changé mais pas la quête. (c) Les grandes personnes.

Et des petits garçons? Aussi. Ils rêvent (Arnaud d'une sirène), imaginent, s'inventent une nouvelle vie (avoir une sœur pour Damien, mais l'image montre un cochon), veulent faire du théâtre autrement comme Gustave ou montrer leurs progrès à un père décédé comme Harry. Ils s'intéressent aux filles et à l'amour, ont des parents aux habitudes parfois étranges... Des petits garçons très contemporains.

Ce sera en fait Zorro qui clôture le livre des garçons. (c) Les grandes personnes.

Bref, on a envie de tous les rencontrer, ces vingt-six petites filles et ces vingt-six petits garçons que Nikolaus Heidelbach nous présente, sortis de leur existence ou de son imagination. La vie n'est pas toujours facile, mais comme il l'accompagne avec pertinence, sans mièvrerie ni attendrissement. Quel talent, quelle générosité!










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