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mercredi 28 mai 2014

LD couvre la haine d'un père pour les siens

"Un bon fils", le titre du nouveau roman de Pascal Bruckner (Grasset, 254 pages), est évidemment à prendre au deuxième degré. Car c'est une histoire terrible qu'il nous raconte, d'autant plus terrible que c'est la sienne. Le bon fils livre en même temps que sa biographie personnelle un bilan de sa famille. Pas fameux, le bilan: un père tyrannique, antisémite et raciste, une mère soumise, femme battue et humiliée, un fils unique témoin de la haine paternelle. Des menaces, des tensions, des coups, des pleurs.

Malgré cela, le fils accompagnera son père alors très âgé jusqu'à la mort. Et jusqu'à une ultime surprise, de taille, qui demeure aujourd'hui un mystère pour l'écrivain. Dieu n'a pas exaucé ses demandes d'enfant de dix ans, alors croyant, de provoquer la mort de son père. "Il m'aura plus marqué alors qu'elle m'a élevé", analyse-t-il, lors d'un passage à Bruxelles. "Quelle peau de vache!"

Pascal Bruckner.

"Aujourd'hui, je suis apaisé mais le passé continue à traverser ma mémoire", poursuit-il. "Ces temps, je fais beaucoup de rêves de mes parents qui me reprochent la parution du livre. Par contre, j'ai eu deux réactions positives dans ma famille:  une cousine et une grande-cousine qui m'ont dit merci."

"Les pères brutaux ont un avantage", écrit Pascal Bruckner, "ils ne vous engourdissent pas avec leur douceur, leur mièvrerie, ne cherchent pas à jouer les grands frères ou les copains. Ils vous réveillent comme une décharge électrique, font de vous un éternel combattant ou un éternel opprimé. Le mien m'a communiqué sa rage: de cela je lui suis reconnaissant. La haine qu'il ma inculquée m'a aussi sauvé. Je l'ai retournée en boomerang contre lui".

Ce boomerang, c'est "Un bon fils", empli d'amour, un amour impossible, malgré ce qu'il dénonce. Un livre confidence qui doit réconforter des lecteurs se sentant moins seuls. C'est l'idée que je glisse à l'écrivain. "Des pères pénibles et des mères abusives, c'est l'histoire de France de notre génération", me répond-il - il est né le 15 décembre 1948, au lendemain de la Seconde  Guerre Mondiale. Mais il ajoute: "Une amie m'a dit: je traite mes parents différemment depuis que j'ai lu ton livre, avec plus de gentillesse."

Car tout le monde connaît, de près ou de loin, à des degrés divers un couple comme le dépeint l'écrivain: "Pendant cinquante ans de mariage, il aura montré une remarquable constance dans la persécution et elle une admirable persévérance dans la soumission."

Pourtant, ce livre, Pascal Bruckner n'y croyait pas. "C'est Olivier Nora, mon éditeur (NDLR: et patron des Editions Grasset) qui m'a poussé à l’écrire. Il m'y a encouragé très fermement, déjà sur le parvis de l’église où se tenaient les funérailles de mon père. En l'écrivant, je me demandais qui cela allait pouvoir intéresser. Mon fils, ma compagne, étaient également sceptiques. A l'arrivée, je constate que la confidence est partagée par beaucoup."

Petit à petit, l'idée de se raconter et de démêler l'écheveau familial a fait son chemin. "C'était difficile, m'explique-t-il. "J'ai fait des recherches en Autriche (NDLR: où l'enfant de santé fragile qu'il était a passé ses premières années), à propos de la légende familiale. J'ai glané ce que je pouvais à gauche et à droite, chez des cousins. Et je me suis fié à ma mémoire. J'avais placé la photo de 1951 (celle qui figure en couverture) devant mon bureau. Elle a sans doute été prise par ma mère avec le Rolleyflex de mon père.Quelle scène familiale, le père et le fils! Il faisait de belles photos, je dois le reconnaître."

Si le livre suit l'ordre chronologique, pour son auteur, "il s'est fait par gradation. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite. J'ai d'abord vu les violences contre ma mère, puis le reste... La construction avec la scène finale, qui demeure un mystère absolu pour moi, s'est faite après, au terme de l'écriture."

En même temps que se déroule l’itinéraire de Pascal Bruckner, élève de Jankélévitch et de Roland Barthes, jumeau spirituel d'Alain Finkielkraut, écrivain très vite reconnu, et que s'affine le portrait d'un homme avide de livres et de voyages, de liberté et d'écriture, de connaissances, s'assemblent devant le lecteur les pièces du terrible puzzle familial.  "Ma famille est très toxique. Mon père et son frère travaillaient tous les deux chez Siemens et se ressemblaient. A l'origine de leur méchanceté se trouve leur père, mon grand-père, totalement pervers et sadique, délateur compulsif. Cet homme a causé une malédiction qui s'est transmise à la génération suivante et j'espère y avoir mis un terme."

Mais l'écrivain reconnaît que "d'avoir eu une enfance résistante, je suis devenu un adulte florissant. La maladie m'a beaucoup aidé, notamment en m'éloignant de mes parents. J'ai développé des mécanismes de défense internes, une carapace qui m'a protégé. Et je n'oublie pas ma mère qui s'est sacrifiée pour moi. A son époque, les femmes choisissaient de ne pas choisir. Elle aurait du partir à 40 ans, après, c'était trop tard. Elle est restée et ils se sont entre-tués. Mais ils ne sont pas parvenus à sacrifier l’agneau pascal. Je n'ai jamais compris mon prénom. En réalité, je m'appelle Pascal Etienne. L'agneau a résisté. Pourquoi? Il faudrait faire appel à la psychanalyse. Ou que j'essaie l'hypnose, parce que je ne me souviens que de peu de choses."

"Un bon fils" permet de mieux comprendre ce qui paraît incompréhensible,  à défaut de l'admettre. La violence, le racisme, l'antisémitisme, entre autres. Il est précieux car témoignage de résilience. Toute haine bue, il s'achève sur la triste fin de vie du père, dans la pauvreté, mais aussi sur une petite pointe de lumière, le partage des lectures entre le père et le fils. Un récit touchant, partagé avec générosité.



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