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jeudi 3 juillet 2014

LAD couvert l'enfant blond de Syrie, Riad S.

C'est facile! Rien qu'en lisant la couverture du nouveau et remarquable livre de Riad Sattouf , on sait tout. "L'Arabe du futur" raconte "Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)" (Allary Editions, 160 pages) comme le précise le sous-titre. Et la quatrième de couverture complète les informations: "Ce livre raconte l'histoire vraie d'un enfant blond et de sa famille dans la Libye de Kadhafi et la Syrie d'Hafez Al-Assad." Un enfant blond!

Evidemment, c'est en bande dessinée, sinon l'auteur ne serait pas Riad Sattouf ("Pascal Brutal", Fluide Glacial; "Manuel du puceau" ou "Ma circoncision", L'Association). Des cases plutôt serrées et bien remplies qui rendent remarquablement compte de ce qu'étaient ces pays alors, il y a trente ans. Parfois, il faut même s'accrocher car on en a oublié les réalités: du code de Kadhafi sur les femmes aux pendus flottant dans le vent de Homs, en passant par les accords de paix entre Israël et l'Egypte et la France baba devant BB. Entre tous ces événements circule un tout petit bout de garçon, l'auteur-narrateur, qui portait alors une incroyable longue chevelure blonde ("C'est parti à l'adolescence", me dit-il, de passage à Bruxelles).

Riad Sattouf.
Riad Sattouf a un père syrien, venu à Paris en 1971 (sous Pompidou, président que l'auteur enfant dessine admirablement) faire sa thèse en histoire contemporaine, et une mère bretonne, également venue étudier à Paris. "L'Arabe du futur" raconte l'improbable rencontre de ses parents, et leur vie avec lui d'abord, avec le petit frère ensuite, en Libye de 1980 à 1982, en Syrie les deux années suivantes, après un bref épisode breton. Six années seulement? "Le reste sera dans le tome suivant", répond-il. Une formule qui va revenir souvent au cours de l'entretien.

Dix questions à Riad Sattouf

Cette bande dessinée est-elle due aux événements d'actualité en Syrie?
Depuis longtemps, j'avais envie de raconter mes années d'enfance en Libye et en Syrie en bande dessinée. Mais je ne trouvais pas le bon ton. Quand la guerre s'est déclarée en Syrie, j'ai dû aider ma famille qui habite près de Homs à venir en France. J'ai eu énormément de difficultés à obtenir les autorisations. J'ai eu envie de dessiner les gens de la mairie, de la préfecture, et les misères qu'ils me faisaient... Mais pour le faire, il fallait que je commence au début de l'histoire, mon enfance là-bas.
Il y a tellement de souvenirs dans le texte, est-ce votre mémoire ou tenez-vous un journal?
Pour moi, il était important de partir de ce que j'avais dans la tête, des visuels, des odeurs, des sons. J'ai beaucoup de souvenirs de la petite enfance, j'en ai même qui datent de l'époque où je ne marchais pas. Mais c'est courant, Amélie Nothomb par exemple, en a parlé dans "Métaphysique des tubes". Bien sûr, j'ai reconstitué les dialogues. Je voulais que mes proches commentent l'histoire. Et ensuite, j'intégrerai peut-être leurs remarques dans des tomes suivants...
En Libye. (c) Allary Editions.

Vous dites que vos maîtres sont Hergé et Crumb. On vous voit lire un album de Tintin dans une case, dans l'avion du retour vers la France, mais il n'y pas de référence à Crumb dans le livre.
J'ai découvert Crumb adulte seulement quand j'étais en Arts appliqués à Nantes. Par contre, Hergé a été le grand héros de mon enfance. Les Tintin qui se passent au Moyen-Orient, c'était génial à lire avec mes cousins là-bas. Dans "L'or noir" notamment, il y a des mots qui sont écrits en arabe et qu'ils pouvaient lire. Ils adoraient les gags qui mettaient en scène les Arabes... ... Hergé, c'est la clarté et la lisibilité, cette façon géniale de pousser le lecteur à tourner la page, cette lecture accessible à des gens qui ne lisent pas de BD. J'essaie de faire ce genre de BD, lisible par ceux qui n'en lisent pas forcément.
Dans "L'Arabe du futur", on remarque que les aplats de couleurs fonctionnent par séquences. Est-ce habituel chez vous?
J'essaie d'adapter mon style graphique à chaque bande dessinée, à chaque histoire que je souhaite raconter. Ici, je voulais qu'il y ait une couleur dominante par pays, un jaune lumineux pour la Libye, le rouge-rose de la terre en Syrie et le gris-bleu de la mer en France. On commence le livre dans le jaune des émotions et, paf, arrive le bleu. L'ambiance a changé. Je voulais créer un dépaysement chez le lecteur.
Partout, vous sembliez à l'écart des groupes auxquels vous étiez censé appartenir.
En Syrie, j'étais mis à l'écart parce que j'étais blond, en France, parce que je portais un nom bizarre. Du coup, j'étais chaque fois observateur du groupe. En Syrie, les gens étaient conditionnés à détester les Juifs et les Israéliens: je me faisais donc traiter de juif... Mais en France, comme j'étais efféminé, je me faisais traiter de "pédé". J'ai été assez tôt sensibilisé au rejet... Etre mis à l'écart pour quelque chose qu'on n'a pas choisi, par une majorité stupide, c'est insupportable! J'ai donc eu très tôt beaucoup d'empathie et de sympathie pour les minorités opprimées.
Votre livre rend remarquablement compte de ce qu'est un pays arabe, avec les maisons non terminées, les sacs plastiques qui volent partout…
Attention, je ne veux pas généraliser! Dans le livre, je ne parle que de ce que j'ai vu, je n'ai pas la prétention de représenter une vision absolue du monde arabe... A Tripoli, nous vivions dans un immeuble pour expatriés arabophones... Nous vivions dans des conditions rudimentaires, mais meilleures que celles des Libyens. En Syrie, j'habitais dans un tout petit village très pauvre, près de Homs. Si le lecteur y trouve des points communs avec d'autres choses qu'il connaît, c'est seulement de son fait! Je ne décris que ce que je connais...
L'arrivée en Syrie. (c) Allary Editions.

Avez-vous eu des commentaires de votre famille, de vos parents par exemple, sur ce livre?
Oui.
Et?
Ce sera dans la suite du livre!
Comment procédez-vous pour une BD?
Je commence par dessiner le story-board de la BD en entier, textes et dessins. Pour ce livre-ci, il comptait 500 pages, pour 160 publiées! Si je suis content du découpage de la page, je la place dans un transparent dans un classeur. Je dessine alors la page au propre, à l’encre. Mais je change les dialogues, la narration, j’ajoute des dessins…
Vos cases fourmillent de détails qui apparaissent soit dans le texte, soit dans l'image. La moustache du père par exemple, évoquée dans le texte et puis dont un dessin rend compte de la disparition.
C'est ce qui est passionnant dans la BD, le rapport texte-images. Ce jeu est ce qui rend la bande dessinée si fascinante. Mais tout n'est pas intellectualisé, il y a beaucoup d'improvisation. La bande dessinée est une écriture, une langue! Elle possède une grammaire, des mots, des verbes, des rythmes...


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