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vendredi 23 novembre 2012

LE enchantée de la "Pépite" de Gilles Bachelet

Mon mari ne remarque jamais rien, se plaint Madame Le Lapin Blanc. (c) Gilles Bachelet/Seuil Jeunesse.


La "Pépite", c'est celle que Gilles Bachelet a reçue jeudi au  Salon du livre et de la presse jeunesse de Seine-Saint-Denis, appelé "Montreuil" en court. Il l'a reçue pour son album "Madame le lapin blanc" (Seuil Jeunesse), tout juste paru.
Une superbe idée, de celles qu'il est le seul à avoir. Car si tout le monde connaît bien le Lapin blanc d’Alice au Pays des merveilles, toujours pressé, toujours en retard, personne ne s'était encore demandé pourquoi il était toujours en train de courir. Gilles Bachelet l'a fait. Et il imagine avec esprit et humour, comme à l'accoutumée, dans l'ombre du personnage de Lewis Carroll, cette épouse en retrait. Et en souffrance.


(c) Gilles Bachelet/Seuil Jeunesse.
On découvre Madame le Lapin blanc, 30 ans, à travers les textes qu'elle confie à son journal. De sa jolie écriture, elle raconte son quotidien de femme au foyer et de mère de famille nombreuse débordée. Ses soucis, ses inquiétudes, ses moments de bonheur, ses rêves de partage des tâches ménagères notamment. Les images campent des scènes en famille ou en société ou se décomposent en vignettes sur fond blanc: les rêves de Beatrix, la fille aînée, les 100 façons d’accommoder les carottes... Tout cela est très drôle et extrêmement bien observé, loufoque et truffé de références à Lewis Carroll, à détailler à l'infini, jusqu'à la tendre conclusion, même si ce n'est pas beau de lire le journal intime de son épouse.

(c) Gilles Bachelet/Seuil Jeunesse.

Gilles Bachelet a reçu sa "Pépite" pour son nouvel album mais moi je la lui donnerais bien pour tout ce qu'il a déjà publié.

Il a commencé en 2002 avec "Le singe à Buffon" (Seuil Jeunesse), une biographie originale du célèbre naturaliste du XVIIIe siècle. Cet élégant savant, toujours tiré à quatre épingles, avait chez lui un singe...






Deux ans plus tard, en 2004, paraît l'album qui va faire connaître l'auteur-illustrateur français, "Mon chat le plus bête du monde" (Seuil Jeunesse). Rappelez-vous. Un rapport texte-images extra, qui donne toute sa vérité au tableau, signé Gilles, proclamant "Un chat, ça trompe", qui apparaît dans une des images.
Il dort sur son coussin bariolé, prend mille poses et esquisse autant de mimiques. Il s'étire avant de chipoter la nourriture dans sa gamelle. Il se réinstalle aussitôt sur l'oreiller coloré pour une petite sieste... Un chat aussi particulier que séduisant!

"Mon chat..." (c) Gilles Bachelet/Seuil Jeunesse.
Physiquement, il n'a que peu de points communs avec le félin domestique usuel. Il présente en effet de larges oreilles qui lui battent les joues, des défenses d'ivoire qui bornent une longue trompe mobile, une petite queue en toupet un rien ridicule, le tout dans un format proche de l'éléphantesque ! Cela signifie-t-il que le héros de cet album jubilatoire est un éléphant ? Non, bien sûr. Le titre est formel, le texte aussi et les images également.
Présent dans les pages, l'auteur nous montre son chat dans ses occupations favorites : dormir et manger, on le sait, mais aussi poursuivre une pelote de laine dans la pièce, mezzanine comprise (rien à voir avec l'éléphant dans le magasin de porcelaine), se balader partout, se toiletter avec minutie, jouer avec d'autres animaux. Autant d'attitudes félines soigneusement transposées à la personne de son chat, malgré le gabarit. Délire, loufoquerie, tout y est. Tromperie ? Non: on rit ! On rit même énormément dans cet épatant album qui pousse l'humour à fond côté "nonsense": la séquence "bac à chat" est particulièrement cocasse, presque autant que les séances de pose détournant des tableaux célèbres (de Botticelli à Picasso, en passant par Miro, Matisse, Ben, etc.).

Mon chat. (c) Gilles Bachelet/Seuil Jeunesse.

 Deux autres albums consacrée au "Chat" de Bachelet suivront:

"Quand mon chat était petit" sort en 2006,
"Des nouvelles de mon chat" en 2009, tous deux au Seuil Jeunesse.
 
Le premier nous apprend que même le chat le plus bête du monde a été petit. Le voilà encore au berceau, dans un petit format délicieux, introduit avec humour par Marie-Ange Guillaume. Quelles savoureuses images que cette nichée de pseudo-chatons! Ils ont tous le pelage  tigré ou avec des taches,  sauf un petit tout gris, à mini trompe et longues oreilles. Ils découvrent la vie animale et les règles pour devenir le compagnon idéal de l'homme.Gilles Bachelet est toujours un fin analyste des relations humaines.La preuve par ses excellentes images, qui servent adroitement le propos de l'album et le prolongent avec imagination.


Le second nous informe que le "matou" a déménagé à la campagne et en pince désormais pour sa voisine, une jolie rousse tigrée. L’animal présente toujours toutes les caractéristiques du félin domestique sauf son apparence. Pour tout le reste, c’est un chat. C’est ainsi qu’il se voit. C’est ainsi qu’il est perçu par son entourage. Il a tellement grandi qu’il a obligé son maître à quitter son appartement. Le duo est parti s’installer à la campagne dans une jolie maison à colombages. Fameux déménagement! La première image montre la caisse de transport de l’animal de compagnie. Elle présente aussi des éléments qui reviendront régulièrement en cours d’histoire. Une carotte jouet en plastique notamment. Et des toiles de maîtres, clins d’yeux aux épisodes précédents. Le chat de Gilles Bachelet va être confronté à la vie au vert, aux surprises que réservent un potager, un tuyau d’arrosage ou la jolie voisine qui devient très vite la fiancée de l’ancien citadin rougissant. Leurs scènes de jeu sont cocasses quand l’espiègle rousse tigrée joue avec la trompe de l’éléphant-chat timide, ou touchantes de complicité et de douceur quand les deux se câlinent ou dorment. Ils se pomponnent l’un l’autre à leur rythme et l’auteur-illustrateur a désormais deux modèles à sa disposition, dont il use et abuse. Les toiles se succèdent sur son chevalet. Que les tourtereaux partent en expédition à l’intérieur de la maison ou sortent pour des jeux d’extérieur, de chasse ou de pêche, l’atmosphère est toujours exquise et loufoque. D’autant plus amusante qu’il semble que seul le lecteur se rende compte que les personnages en action ne sont pas deux chats mais un éléphant et une chatte.


Gilles Bachelet a aussi d'autres sujets d'inspiration: les champignons, les pelochons, les contes.


"Champignon Bonaparte" (Seuil Jeunesse) est  une hallucinante fresque historico-mycologique, totalement influencée par le bicorne napoléonien. Chapeau (de champignon)! L'auteur conte la vie de son personnage, Champignon Bonaparte, insolente mais vraie, grâce à des bolets, des morilles, des chanterelles et autres champignons. Un délire graphique qui a "mycologisé" images, vignettes ou plans larges déclinant des tableaux célèbres.

Le sacre de Champignon Bonaparte. (c) Gilles Bachelet/Seuil Jeunesse.


"Hôtel des voyageurs" (Seuil Jeunesse) propose un double titre: "Hôtel des voyeurs". Indisponible aujourd'hui, cet album sans texte laisse le lecteur imaginer les sous-entendus que permettent ces batailles entre pelochons, oreillers et autres objets en usage dans les chambres d'hôtel. Pourquoi traînent-ils souvent par terre? Parce qu'ils sont des obsédés sexuels.Un livre plutôt pour les grands.

"Hôtel des voy(ag)eurs" (c) Gilles Bachelet/Seuil Jeunesse.

"Il n'y a pas d'autruche dans les contes de fées" (Seuil Jeunesse)  présente dès la couverture une autruche qui n'en mène pas large: déchaussée de sa pantoufle de verre, elle est assise dans son carrosse redevenu citrouille. La nacelle est même carrément explosée vu le volume de la Cendrillon ! Mais le réveil pendu à son cou en témoigne : minuit a sonné… De leur côté, les souris qui lui ont servi d’attelage se fendent la poire alors que rat et crapaud s’interrogent bêtement sur l’accident.
Gilles Bachelet, "ce prédateur du singe, du chat, de l’éléphant et du champignon" comme le présente Jacques A. Bertrand dans la délicieuse préface a donc, cette fois, fait de l’autruche sa proie. Tout simplement parce qu'il avait remarqué que l’étrange animal ne figure dans aucun conte de fées : ni Perrault, ni Andersen, ni les frères Grimm n’y recourent. Il a donc systématiquement remplacé les héros classiques par une ou des autruches. Le résultat de ces détournements jaillit dans d’épatants dessins, titrés et brièvement légendés, où se manifestent les caractéristiques de son héroïne à quatre orteils.
Dix-huit contes sont remis à l’heure du volatile, plus hilarants les uns que les autres. En Petit chaperon rouge, l’autruche apparaît encore plus ridicule que dans ses plumes originales. En Petite fille aux allumettes, elle démontre qu’elle "n’a pas inventé la poudre". En Riquet à la houppe, elle "est coiffée comme un dessous de bras" et ce n’est pas Peau d’âne qui la fera s’habiller autrement que comme "l’as de pique".
Très intéressante aussi, car renseignant le lecteur sur son appétit, la variation sur Blanche-Neige, accompagnée de six nains seulement, le septième ayant été englouti (on le devine dans le cou). Comme celle sur le Chat botté qui démontre le naturel renfermé de l’héroïne – elle se cache la tête dans une botte… Ou celle sur le Vilain petit canard qui témoigne de sa médiocrité de nageuse. Incroyable comme l'autruche se prête quasi naturellement à la caricature!

La Vilaine Petite Autruche. (c) Gilles Bachelet/Seuil Jeunesse.


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